Durant la Première Guerre mondiale, la contribution des femmes à l’effort de guerre a revêtu de multiples formes :
- Le courage des femmes d’agriculteurs qui ont dû assurer à partir de l’été 1914 les durs travaux des champs alors que la France était majoritairement rurale et agricole.
- Le dévouement des infirmières qui ont soigné et qui se sont occupées des soldats blessés dans les hôpitaux de guerre et les maisons de convalescence.
- La compassion des « marraines de guerre » qui écrivaient et envoyaient des colis, des lettres aux soldats du front et qui rendaient visite aux nombreux blessés.
- Le courage aussi des femmes des villes qui ont dû combler le manque de main d’œuvre dans différents secteurs d’activités, distribuant le courrier, conduisant les tramways, travaillant plus de 10 heures par jour dans les usines d’armement.
A) Le travail des femmes dans l’agriculture
L’appel aux Françaises de Viviani :
Le 7 août 1914, le Président du conseil René Viviani, fait appelle aux femmes pour qu’elles achèvent la moisson puis qu’elles entreprennent les travaux de l’automne. Se sont surtout les paysannes qui sont concernées par cet appel, car il pense alors que la guerre sera courte et que le besoin urgent se trouve dans les campagnes désertés par les hommes partis au front. Voici son discours :
« Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés. Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! A l’action ! A l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »
Le travail repose sur les 3,2 millions d’agricultrices, ouvrières agricoles ou encore femmes d’exploitants. Elles ont accompli l’essentiel du travail dans un grand élan patriotique et avec un sens nouveaux de la solidarité. Elles deviennent maréchal-ferrant, garde champêtre, boulangère. Toutes les villageoises travaillent pour le salut de la France. Du fait de la guerre, 850 000 femmes d’exploitant dont un tiers de celles déclarés au recensement de 1911, se trouve à la tête de l’exploitation. Les 300 000 femmes d’ouvriers agricoles ont à leur charge une famille. Elles ont de lourdes responsabilités aux quelles elles étaient peu préparées ; comme : décider des productions ; diriger la main d’œuvre ; vendre.
|
Femmes travaillant dans les champs. |
B) Le travail des femmes dans l’industrie
Pour faire admettre les femmes dans l’industrie de guerre il a fallu vaincre la méfiance des industriels, multiplier les circulaires, ouvrir des bureaux d’embauche et faire de nombreuses affiches. Au début 1918, les femmes forment un quart de la main-d’œuvre dans l’industrie de guerre soit 430 000 « munitionnettes » venues de tous les horizons : couturières, ménagères, artistes au chômage, jeunes filles sans travail sont attirées par les hauts salaires sans aucun lien avec les capacités de chacune. Les ouvrières donnent très vite satisfaction, d’après le maréchal Joffre « Si les femmes qui travaillent dans les usines s’arrêtaient vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre. » Les industriels doivent alors moderniser leurs outillages et réorganiser le travail pour l’adapter à cette nouvelle main d’œuvre. Des appareils de levage et de manutention, des machines automatiques apparaissent dans tous les secteurs : machines à décharner dans les mégisseries, encolleuse dans l’industrie cotonnière etc. Les industriels affectent les ouvrières à des tâches délimitées et organisent la production en série. On découvre les « qualités féminines » : aptitude aux travaux monotones, patience et habileté par exemple. Les femmes sont minimes dans la fonderie ou l’aéronautique cependant elles sont très nombreuses dans la fabrication des obus (on les appelle les obusettes), cartouches, grenades et fusées employées comme manœuvres aux travaux mécanique en série et à la fabrication des pièces fines ou à la vérification.
· Le travail des femmes dans les usines d'armement.
En 1914, la plupart des hommes ayant la capacité de travailler dans les usines avaient été mobilisés pour partir au front. Plus le temps passait plus les espoirs d'une guerre courte s'envolait, on s'engageait donc dans une guerre longue et totale exigeant, dans les usines, une mobilisation d'économie et d'ouvriers qualifiés mais principalement d'une main d'œuvre féminine. Un certain nombre de femmes travaillaient déjà avant la guerre, mais elles étaient le plus souvent réparties dans des tâches considérées comme secondaires.
Ce qui était nouveau et marqua les esprits fut leur embauche dans des usines d'armement. Ce qui leur donna pour surnom les « munitionnettes ». Cette mobilisation féminine, notamment dans les usines de guerre à suscité de nombreuses réactions où dominent la peur de la « masculinisation » des femmes.
La pénibilité du travail dans les usines d'armement :
La journaliste Marcelle Capy, féministe et libertaire, travaille quelques semaines incognito dans une usine de guerre. Son témoignage paraît dans La voix des femmes entre Novembre 1917 et Janvier 1918 :
« L'ouvrière, toujours debout, saisit l'obus, le porte sur l'appareil dont elle soulève la partie supérieure. L'engin en place, elle abaisse cette partie, vérifie les dimensions (c'est le but de l'opération), relève la cloche, prend l'obus et le dépose à gauche.
Chaque obus pèse sept kilos. En temps de production normale, 2 500 obus passent en 11 heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse en un jour 35 000 kilogrammes.
Au bout de trois quarts d'heures je suis avouée vaincue.
J'ai vu ma compagne toute frêle, toute jeune, toute gentillet dans son grand tablier noir, poursuivre sa besogne. Elle est à la cloche depuis un an. 900 000 obus sont passés entre ses doigts. Elle a donc soulevé un fardeau de 7 millions de kilos.
Arrivée fraîche et forte à l'usine, elle a perdu ses belles couleurs et n'est plus qu'une mince fillette épuisée.
Je la regarde avec stupeur et ces mots résonnent dans ma tête : 35 000 kilos. »
|
Les « munitionnettes » au travail. |
C) Le travail des femmes dans le transport
Au début de la guerre le Syndicat des transports parisien s’est opposé à l’embauche d’un personnel féminin, mais les Parisiens en ont vite assez d’attendre des heures une hypothétique voiture ou d’aller à pied ; habitués aux moteurs, ils n’aiment guère non plus pédaler dans les rues ou appeler un cocher qui ressort son fiacre avec bonheur. Même si au début les syndicats s’y sont opposés, les femmes ont obtenu du préfet de la Seine en août 1914 l’autorisation d’être employées comme receveuses sur voitures. Les compagnies de transport demandent et obtiennent en 1915 celle de les utiliser comme wattwomen (conductrice d’un véhicule électrique), à l’image de la province, mais à condition de reprendre leurs employés mobilisés à la fin des hostilités.
Dans les tramways parisiens, il y a en 1915, 2 670 femmes au côté de 8 000 hommes et elles étaient 5 800 en 1917. Celles-ci sont vêtues d’un costume sombre et d’un calot, la sacoche en bandoulière, la planche à ticket d’une main, l’extrémité de l’index de l’autre main gantée de caoutchouc pour détacher aisément les papiers multicolores, les receveuses circulent entre la foule pour percevoir le prix des trajets, sautent en marche à chaque changement de direction pour manier rapidement la lourde barre de fer qui fait basculer l’aiguille, et manœuvrent la perche en fin de course.
Les conductrices, qui ont un travail moins fatiguant suscitent plus de méfiance et des commentaires acerbes au moindre incident. Pourtant malgré une formation qui dure seulement au plus 8 jours, elles font preuve d’une maîtrise et d’un sang-froid inattendus. Le 3 septembre 1917, le directeur de la compagnie des omnibus confie à un journaliste sa satisfaction : « Malgré leurs connaissances, on pouvait redouter que l’insuffisance de leurs moyens physiques, la faiblesse certaine de leurs nerfs ne vinssent en des conjonctures soudaines et critiques leur enlever tout ou partie de leur libre-arbitre. Il n’en a rien été. Nos conductrices sont sûres d’elles-mêmes, calmes en présence de l’obstacle inattendu, promptes et précises en leurs décisions. Le pourcentage des accidents n’a pas augmenté depuis que nous les employons. »
Le métro n’emploi pas de conductrices, à cause des complications du système de signalisation et des petites tâches de réparation. Mais 2 000 femmes environ y travaillent et un millier au Nord-Sud. Elles vendent et poinçonnent les billets, nettoient les voitures ou bien encore sont surveillantes de contrôle dans les stations ou gardes de voiture : le plus pénible et alors de lutter avec les clients qui veulent monter en surcharge. On les estime moins productrices et perçoivent donc par jours 1 Franc de moins que les hommes. Tandis qu’au tramway, les femmes perçoivent le même salaire que les hommes, mais les journées de repos ne leur sont pas payées, bien que tout le monde répète que les travailleuses ne doivent pas négliger le foyer les enfants.
Durant les quatre années de guerre, les femmes vont assurer la quasi-totalité des tâches réservées jusque là aux hommes. On trouve ainsi des factrices, des chauffeuses de locomotives, des allumeuses de réverbères, des conductrices de tramways. Il y en a même qui deviennent mécaniciennes de locomotives.
Les transports ont connu la croissance la plus forte de cette main d'œuvre avec un passage de 18 000 en 1914 à 117 000 employées en 1918.
|
Conductrice de tramway à Toulouse en 1914-1918. |
D) Les infirmières : les « anges blanc »
Membre de communautés religieuses ou infirmières de l’assistance publique, elles accompagnent l’action des médecins qui opèrent sur le champ de bataille tout en consolant les blessés. La figure de l’infirmière est typiquement féminine : l’infirmière dont l’habit blanc est synonyme de pureté, guérit les corps et les âmes.
La plupart des infirmières travaillaient dans un hôpital mais le transport été périlleux, souvent trop long et surtout il pouvait se révélé dangereux, c’est pourquoi elles devaient se trouver le plus près possible du front. Elles se retrouvaient alors dans des tentes à une distance minime du front malgré le danger que cela représentait. Bien qu’elles fassent preuve d’un courage exceptionnel, ces femmes étaient généralement volontaires et ne recevaient aucun salaire.
Les conditions d’hygiène n’étaient évidemment pas propices à la guérison. De plus les outils de travail étaient sommaires et les médicaments le plus souvent déficients, étaient remplacés par des produits plus accessibles mais moins efficaces voir inappropriés.
En 1916 toutes les ambulances étaient conduites par des femmes. De plus, elles devaient pouvoir intervenir en toutes situations, des blessés du front aux soldats gazés. Pour ces derniers elles devaient pratiquer la respiration artificielle.
Les femmes n’ont donc pas hésité à s’engager pour tenter de sauver les soldats et apporter elles aussi leur soutien à la nation. Elles ont fait preuve d’un grand courage et ont prouvé qu’elles pouvaient affronter la peur, le front et les hommes. Elles furent nombreuses à donner leur vie pour sauver celle des combattants. On comptait 100000 femmes soignantes, dont des dizaines de milliers de bénévoles de la Croix-Rouge et d’autres associations, et encore 10000 sœurs congréganistes.
|
Photographie prise pendant la première guerre mondiale dans un hôpital militaire. Nous pouvons voir une infirmière debout au centre. |
Sœur Gabrielle :
12 novembre 1914
Récit fait à un journaliste par la Sœur Gabrielle (Mlle Marie Rosnet), supérieure de l'hôpital de Clermont-en-Argonnes:
Depuis le premier jour des hostilités — me dit-elle en retraçant les douloureux épisodes de son intervention, — j'avais en traitement une centaine de blessés et de contagieux. Le 3 septembre, dans la nuit, les Allemands étant signalés, nos blessés furent embarqués dans des trains sanitaires. Les grands blessés furent enlevés le lendemain par des voitures d'ambulance. Je reçus alors l'ordre de partir pour Bar-le- Duc. Je répondis: « J'ai quarante vieillards et des infirmes dont j'ai la responsabilité. Les emmenons-nous? —Non. — Dans ces conditions, mon devoir est tout tracé: je ne les abandonnerai pas. » Et je restai là.
A midi, la bataille commença autour de Clermont. On se battit avec acharnement à Auzéville, à Aubreville, à Brabant et dans les environs. Quelques obus tombèrent sur Clermont. Un projectile creva les conduites d'eau de l'hôpital. Je fis descendre tout mon monde dans les caves et l'on attendit la fin de la bataille.
Vers 7 heures, le feu cessa de part et d'autre; néanmoins, nous restâmes où nous étions, sans lumière, et nous y passâmes la nuit. Vers 2 heures du matin, on entendit arriver l'infanterie allemande. Les bottes martelaient le sol; on ne pouvait se méprendre. Bientôt, au clair de la lune, je vis par un soupirail des casques à pointe.
A 4 heures du matin, l'artillerie et la cavalerie arrivèrent à leur tour. Enfin, à 5 heures, un formidable coup de crosse de fusil ébranla la porte extérieure de l'hôtel. Il fut suivi d'un deuxième qui défonça Ies vantaux. Trois officiers entrèrent, revolver au poing. Les pannes hospitalisés croyaient leur dernière heure venue. Je les exhortai au calme et je montai à la rencontre des Allemands. Je me trouvai en face d'eux dans le vestibule. Je leur dis simplement: « Vous êtes ici dans une maison consacrée à la souffrance. Vous n'entrerez pas plus avant. » Et je me plaçai en travers du passage.
Les officiers se concertèrent rapidement, et l'un d'eux, qui parlait, fort bien le français, me répondit:
— Nous ne ferons de mal à personne. Laissez-nous visiter la maison.
J'y consentis, à la condition formelle que l'engagement serait tenu.
— Où est le maire? demandèrent-ils.
— Il n'est plus ici, répondis-je, mais je le remplacerai.
Ils proférèrent des injures à l'égard du maire et déclarèrent que son absence lui coûterait cher.
Le lendemain, à 9 heures du matin, les Allemands mirent le feu à la maison de M. Nicolas, horloger. L'incendie se propagea rapidement et ne tarda pas à menacer l'hôpital.
Je me rendis en hâte à l'état-major et dis au général:
— Vos officiers m'avaient donné leur parole que l'hôpital serait épargné; ils l'ont reniée. Jamais un officier français n'agirait de la sorte.
II eut un mouvement de colère tel que je pensai payer de ma vie ce que je venais de dire. Pourtant il se radoucit quand je lui exposai que la situation de l'hôpital obstruerait la rue latérale et barrerait ainsi la route de Bar-le-Duc, dont elle est le prolongement. Il donna immédiatement des ordres. Un quart d'heure après, une auto du génie amenait un détachement de sapeurs avec une pompe. L'hôpital seul fut préservé. Toute la ville fut réduite en cendres.
Le lendemain, nouvelle alarme. Un coup de feu avait été tiré la nuit dans la montagne contre une sentinelle, qui avait eu un doigt écorché. Le général vint me trouver et m'annonça que toute la population allait être fusillée, vieillards, femmes et enfants. Je lui représentai la cruauté de ses intentions et lui dis:
— Si vous estimez qu'il faut une vie humaine pour compenser la blessure de votre soldat, prenez la mienne, mais ne massacrez pas une foule d'innocents.
Que se passa-t-il dans sa conscience? Je l'ignore. Toujours est-il qu’après m'avoir laissée dans l'attente du peloton d'exécution pendant vingt-quatre heures, il renonça à ses projets. Rien entendu, je n’avais pas dit un mot de tout cela à mes hospitalisés, dont les angoisses étaient déjà assez pénibles.
Deux jours après, nous étions délivrés des Allemands, qui couraient à la bataille de la Marne, mais il ne restait de Clermont que ce que vous pouvez voir.
[Petit Parisien.]
|
Petite histoire illustrée de la revue 'le Bon Point' |
Conclusion :
La première guerre mondiale a entraîné une rupture importante dans l’ordre familial et social avec l’ouverture de nouvelles professions aux femmes. Certaines historiennes ont ainsi considéré cette période comme propice à l’émancipation des femmes car les relations entre les genres ont été profondément modifiées, malgré le statut quo étatique du mouvement antérieur c’était « l’ère du possible ». Cependant le 11 novembre 1918, les femmes sont obligées de redonner leurs places aux hommes. Les veuves, qui sont environ 700 000 prennent le rôle de l’homme dans leur famille, tandis que les autres sont revenues aux valeurs traditionnelles et ont repris le travail féminin car l’après guerre remet chaque sexe à sa place.